Les mesures de distanciation sociale en période de confinement ont amené les pays à mettre en place des pistes cyclables ou piétonnes temporaires, tracées à la peinture ou signalées avec des plots de chantier. Nous passons en revue les actions déployées dans de nombreux pays.
Les cyclistes sont moins nombreux mais leurs déplacements sont moins sécurisés
La diminution du trafic automobile de 60 à 90% dans les grandes villes libère beaucoup d’espace mais conduit aussi à une forte augmentation des vitesses défavorable à la sécurité des cyclistes. Dans le même temps, la police a annoncé suspendre les contrôles par radars mobiles par manque d’effectifs et la baisse de l’accidentologie routière n’a pas du tout suivi la baisse du trafic avec une augmentation relative du nombre de morts sur les routes.
La disparition du trafic automobile aurait dû permettre une pratique du vélo accrue et sécurisée pendant la période de confinement, les hésitations sur l’autorisation, ou non, de la pratique et les nombreuses mesures de fermeture d’infrastructures cyclables, les boulevards urbains vidés de leurs embouteillages sont devenus par endroits des voies rapides propices aux accidents.
L’essor des pistes cyclables temporaires et de l’urbanisme tactique
Dans plusieurs pays, notamment en Allemagne mais aussi à Bogota en Colombie, à Calgary au Canada ou à New-York et Austin aux USA, des bandes ou pistes cyclables temporaires ont été créées, délimitées par des plots ou avec de la peinture au sol afin de garantir la sécurité des cyclistes et leur permettre de respecter les normes de distanciation sociale. Ces pistes ont été créées sur des grands axes, habituellement dévolus à la voiture individuelle en supprimant une file de circulation, en réduisant le gabarit de deux files de circulation, voire en modifiant le plan de circulation générale avec la suppression d’un sens de circulation.
La démarche est inspirée de l’urbanisme tactique en copiant ses outils : marquages temporaires à la peinture, délimitateurs de voirie détournés de leur usage habituel, plots de chantier et ses concepts : préfigurer une ville plus accueillante pour les piétons et les cyclistes en reconfigurant l’emprise de la voirie et son aspect. Mais il s’agit bien d’une démarche institutionnelle, sans concertation ou appropriation citoyenne, ces pistes cyclables ont été conçues et mises en œuvre par les techniciens des collectivités et n’ont pas été expérimentées par des collectifs de la société civile.
Le Land de Berlin a travaillé ses aménagements cyclables existants de deux façons : les bandes cyclables unidirectionnelles existantes sur la chaussée ont été élargies à environ 2m pour permettre la distanciation sociale en reportant les marquages, par des nouveaux marquages temporaires jaunes. Les pistes existantes sur trottoir, courantes à Berlin et trop étroites pour permettre des dépassements permettant la distanciation sociale avec les autres cyclistes et les piétons ont été reportées sur la chaussée en supprimant une voie de circulation ou une file de stationnement sur la chaussée, la largeur est alors celle de la voie de circulation ou de stationnement d’origine (entre 2 et 3m). La séparation avec les voitures est rendue effective par une bande de marquage routier jaune (type chantier) et avec les files de stationnement sur chaussée par des balises de chantier. Le Land de Berlin a publié un guide d’aménagement des pistes temporaires très opérationnel, la traduction en français a été faite par l’association Paris en selle et devrait être rendue disponible prochainement.
La ville de Bogota, précurseur sur la courte période que nous vivons, a déjà modifié plusieurs fois le plan de ses pistes cyclables temporaires.
En Nouvelle-Zélande, le gouvernement a mis en place un appel à projet avec des fonds alloués pour permettre de déployer des solutions de réattribution de l’espace vers les mobilités actives (extensions de trottoirs, création de pistes cyclables temporaires, déploiement du double sens-cyclable, etc.).
L’énorme avantage de l’aménagement temporaire dans cette situation exceptionnelle tient dans sa forte capacité à s’adapter : il reste réversible si les besoins ne sont pas là, il est possible d’élargir la voie créée en déplaçant le mobilier et il peut être converti par la suite en aménagement permanent s’il a permis de créer une situation satisfaisante pour ses usagers. La réactivité pour les collectivités est très forte, le mobilier nécessaire étant déjà disponible dans les centres techniques.
Où en est la France sur le sujet ?
En France, le sujet tarde à prendre de l’ampleur. Plusieurs collectivités souhaitent mettre en place ce type de pistes cyclables temporaires. Montpellier est la seule ville à avoir franchi le pas jusqu’à présent sur les conseils de l’association Vélocité Montpellier qui a publié un document de plaidoyer en faveur des pistes cyclables.
La ville de Paris travaille également sur des aménagements temporaires inspirés de l’urbanisme tactique, vivement encouragée et conseillée sur le sujet par les associations Paris en Selle et MDB qui ont préparé un document de stratégie sur le déploiement d’un réseau temporaire, conçu sur le plan du métro et repris du projet Vélopolitain.
L’agglomération de Nantes va aménager le quai de la Fosse dans la 2ème quinzaine d’avril avec des pistes provisoires. La métropole de Grenoble étudie également plusieurs applications sur des grands axes de l’agglomération. Le Havre a lancé une mission sur le sujet.
La Métropole de Lyon annonce la mise en place de tout un programme d’urbanisme tactique pour le vélo et la marche dans la période de post-confinement.
Adrien Lelièvre, journaliste aux Echos a créé un fil Twitter recensant toutes les initiatives internationales dans ce sens et a publié un article sur le sujet, régulièrement mis à jour.
Le gouvernement vient de charger Pierre Serne, président du Club des Villes et Territoires Cyclables pour recenser et accompagner les collectivités dans l’aménagement de pistes provisoires et faire remonter les difficultés rencontrées, notamment sur le plan de la législation.
Thomas Jouannot, expert vélo du CEREMA a déjà réalisé une note de travail en préconisant l’utilisation des règlementations de signalisation de chantier pour réaliser ces pistes. Il vient de publier la fiche « Aménagements cyclables temporaires et confinement : quelles opportunités ? (en accès-libre) afin d’accompagner le déploiement de cette solution dans les collectivités françaises. Une visio-conférence est prévue le 22 avril à l’initiative du CEREMA pour que les collectivités puissent échanger sur le sujet.
Et la marche ?
La marche ne doit pas être en reste, alors que les consignes de distanciation sociale sont inapplicables avec la norme française de largeur des trottoirs (minimum 1m40 hors obstacles). Joggeurs et piétons ont déjà pris le pas en utilisant les chaussées vides lors des croisements. A Paris et en Île-de-France, la marche est même le premier mode de transport de la région avec près de 40 % de part modale selon les premiers résultats de l’Enquête Globale Transports.
Le déconfinement nécessitera des trottoirs élargis, lorsque la largeur ne permet pas de se croiser en respectant 1m de distance sur les grands axes. Les plus petites rues nécessiteront une généralisation des dispositifs type « zone de rencontre » en réduisant drastiquement le trafic de transit et les vitesses permises afin de permettre aux piétons de circuler et se croiser sur la chaussée en toute sécurité.