La parution en juin de la traduction du livre de Carolyn Steel « Hungry city » (Ville Affamée en français) aux éditions Rue de l’Echiquier, avec le soutien d’Inddigo, est l’occasion de revenir sur les questions qu’elle développe dans ce livre riche et documenté, fruit de sept années de recherche sur l’alimentation des villes, depuis les premiers cités jusqu’aux mégapoles d’aujourd’hui.
Les différents chapitres de cet ouvrage abordent successivement la production agricole, le transport des denrées, leur vente, la préparation des repas, leur consommation et de l’élimination des déchets alimentaires, en s’interrogeant comment chacun de ces aspects affecte nos vies et la planète.
Pendant très longtemps, les villes ont été contraintes dans leur implantation, leur organisation spatiale et dans leur développement par leur approvisionnement. La seule ville à dépasser le million d’habitants a longtemps été Rome, qui avait alors besoin de tout le bassin méditerranéen pour nourrir sa population. C’est le chemin de fer qui a libéré les villes de la géographie. Celles-ci ont alors pu se construire n’importe où, selon n’importe quelle forme et atteindre n’importe quelle taille, alimentées par ce nouveau cordon ombilical ferroviaire. Cette libération a aussi marqué le début de la déconnexion entre les urbains et leur alimentation. Ils se désintéressèrent de savoir d’où venait leur nourriture et à quels dévastations sa production commençait à conduire partout sur la planète.
Carolyn Steel nous montre comme l’alimentation peut être utilisée comme des « lunettes » pour révéler notre société et la face cachée de la consommation de masse : dépendance aux énergies fossiles d’une agriculture industrialisée, émissions de GES, contamination par les pesticides, eutrophisation des eaux, obésité et maladies cardio-vasculaires dues à la mal bouffe, gaspillage et pollution par l’élimination des déchets alimentaires…
A ces atteintes physiques s’ajoute une atteinte à notre l’humanité même. Au nom de l’efficacité, on a supprimé les hommes de la production agricole, de la transformation des produits et de la préparation des repas. On est en train pour finir de supprimer également le moment de convivialité du repas pris en commun, pour renvoyer chacun à l’absorption solitaire de sa ration alimentaire industrielle. Aux Etats-Unis, 90 % des déjeuners seraient pris dans sa voiture !
Un autre système alimentaire est-il possible ? Sans vouloir revenir en arrière, ni mythifier un passé synonyme également de famines et de malnutrition, peut-on retrouver un système alimentaire plus humain ? Carolyn Steel, dans le chapitre de conclusion de son livre, ouvre la perspective d’un équilibre réinventé entre les villes modernes et les territoires qui les entourent, où l’alimentation nourrit le lien social.
Comme une réinterprétation de l’allégorie du tableau d’Ambrogio Lorenzetti sur la bonne gouvernance qui traverse son ouvrage. Plutôt qu’une Utopie, elle nous propose une « Sitopie », un espace où la nourriture retrouve sa vraie valeur :
« Une ville « sitopique » entretiendrait des liens forts avec son hinterland local grâce à un réseau en treillis avec des marchés actifs, des boutiques de proximité et un sens aigu de l’identité alimentaire. Ses logements seraient construits avec de grandes cuisines confortables, il y aurait des jardins partagés, voire un abattoir local. L’école de quartier apprendrait aux enfants dès leur plus jeune âge à connaître, cultiver et cuisiner les aliments. Par-dessus tout, la ville célébrerait la nourriture ; elle s’en servirait pour rassembler les gens. »
Sur ce même sujet, je vous invite également à lire l’excellent article d’Anne-Sophie Novel « Pourquoi les villes, comme les hommes, sont ce qu’elles mangent ? » et à regarder la conférence TED de Carolyn Steel.